LYDIA TABARY                                                                                                                                       TEXTES ASSOCIES A DES OEUVRES

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Respiration n° 1- mars 2008

RESPIRATION n°1


Dans la démarche que j’ai adoptée, il n’y a pas de système. Je peux créer des œuvres pour des espaces spécifiques où chercher un lieu pour une œuvre créée ex nihilo. Le plus difficile, c’est quand l’œuvre a été créée pour un lieu particulier où elle n’a pas été acceptée, et que je cherche un autre espace où elle pourrait prendre place.


Première étape

J’ai examiné un bon nombre de photographies de lieux publics ou privés, avant de découvrir que les jardins privés du Ritz, grand hôtel de la place Vendôme à Paris, offraient une possibilité intéressante pour les stèles dont j’avais envisagé la mise en place dans le parc de l’université de Paris VIII à Saint-Denis.

Pur hasard. De l’appropriation d’une image sur Internet, pour placer mes stèles en ce lieu très contesté mais souvent décrit comme paradise, par les nombreuses célébrités qui l’ont fréquenté, je suis passée à l’histoire de cet hôtel pour savoir où je mettais les pieds.

De la Croix Rouge pendant la première guerre mondiale aux Allemands pendant la seconde, d’Hemingway venu le libérer de l’occupation allemande, mitraillette à la main, en août 44, à Coco Chanel qui y a logé pendant 37 ans, cet hôtel a encore accueilli, en décembre dernier, Kadhafi et nombre d’intellectuels venus le rencontrer à la demande de Sarkozy.

Pour finir, juste au moment où je commençais à écrire, des performeurs du collectif « Il faut brûler pour briller », qui donnaient un spectacle à l’occasion d’un festival de mode le 1er mars, ont dû interrompre leur prestation en raison du trouble sonore voire physique occasionné par leur présence. Alors quoi ? Un monde clos ? Un monde qui aurait besoin de se protéger de l’extérieur ? Un monde en malaise sans doute d’être trop à l’aise.

Le Ritz, qui s’est toujours décliné en forme d’hôtel capable de répondre à tous les caprices de la société et des personnes fortunées, ne peut guère imposer une image déconnectée de sa réalité.

Au vu des tous derniers événements, je me suis posé la question de la suite à donner à mes stèles au Ritz. Un contact par e-mail avec son directeur actuel, Omer Acar, très aimable au demeurant, m’a vite dissuadée de poursuivre : interdiction d’utiliser l’image du Ritz.


Quelle image ? Les jardins que j’appréciais ou la renommée ? Le Ritz, actuellement, n’est plus un paradis. Il n’est qu’un lieu commun (aux sens propre et figuré du terme), un lieu où tout se vit et rien ne s’affirme, rien ne prend corps. Et s’il est un corps hôtelier, c’est un corps de mémoire, de couches de vie, un corps marqué par l’histoire à laquelle il doit sa survie. Seule permanence : le luxe et son pendant, l’argent. La richesse ici s’accorde à la pauvreté d’âme.

L’idée de la rencontre et de la transparence lui demeure étrangère.


Mes stèles ont ainsi re-basculé dans le vide où elles avaient été précipitées, pendant quelques temps : plus d’espace où s’implanter.


Seconde étape

J’ai repris mes recherches, non plus sur les jardins privés mais sur les Abbayes cisterciennes dont j’aime particulièrement l’architecture. J’ai redécouvert celle de Thoronet que j’avais visitée il y a près de trente ans, et j’ai décidé de placer mes stèles dans son cloître. Les moines cisterciens étaient des adeptes du retrait du monde et de la pauvreté absolue (ce qui ne les a pas empêché de cultiver de vastes territoires) et la rencontre entre leur histoire et la mienne est du même coup, nettement plus probable, même si... 


À l’opposé de l’histoire du Ritz, mêlée à tous les aléas de la société actuelle, se trouve celle de l’Abbaye de Thoronet, d’architecture austère, où la pauvreté matérielle semble avoir été compensée par une richesse spirituelle. Devenue propriété de l’Etat, à la fin du XIX siècle, cette Abbaye est ouverte au public d’avril à septembre. Mes stèles d’arbres diaphanes qui ne font aucun bruit y seront à leur place.


Je ne demanderai cependant aucune permission : l’Etat risquerait de m’interdire l’usage de l’image de ce lieu.


En plaçant mes stèles dans l’image d’un lieu réel, je cultive et intensifie la virtualité de mon travail au point de conférer à sa dimension imaginaire, l’apparence d’une réalité.

L’œuvre projetée restera virtuelle, mais l’image aura vécu pour ce qu’elle est : une représentation imaginaire donnant à saisir une Histoire qui, elle, ne l’est pas.


2008, LT


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