LYDIA TABARY TEXTES ASSOCIES A DES OEUVRES
LYDIA TABARY TEXTES ASSOCIES A DES OEUVRES
Présences photographiques,
Été 2003 en Calabre. Soleil de plomb dans ces lieux familiers qui suscitent la mélancolie. Errance dans les cimetières, dans ces lieux frais et silencieux, verts et fleuris de jour, illuminés de nuit, où flotte l’ineffable parfum de la mort. Ruelles bordées de tombeaux à tiroirs, foule défunte, multitude d’êtres disparus à jamais. Les femmes ont capté mon attention. Visages sévères et burinés du sud, regards doux ou transperçants, enfants, adolescentes à peine nubiles, femmes resplendissantes, sans âge ou marquées par la vieillesse.
Ces cimetières sont devenus des lieux de rencontre avec le passé, avec l’histoire de ce petit coin d’Italie, beau et pauvre, accueillant et dur. Dans la lourdeur d’un été brûlant, j’ai entendu les voix des femmes qui montaient, venues parfois de très loin dans l’espace-temps de la pensée qui nous sépare ou relie. J’ai regardé leurs portraits, un par un. J’ai aimé ces femmes sans les avoir connues, jusqu’à leur donner corps. J’ai imaginé pour chacune, un mode l’existence, une voix, une attitude, un comportement, un entourage, une manière de se lever, de se coucher, de regarder. J’ai vécu avec elles, revenant sur leur tombe pour construire un souvenir d’elles qui ne me quitterait plus. Elles ont accompagné mes éveils et mes torpeurs du soir, d’un chœur de chuchotements croisés, irréels.
En Ardèche, je les ai retrouvées, distanciées : photographies de photographies, sans chair, souvenir qui de révélé s’est estompé, a disparu.
Je les ai laissées dormir un temps ; temps dérisoire face à la mort : cinq ans. Pour ces images d’images de visages, autrefois de chair et de pensée, le temps ne court plus.
Jusqu’au jour où la mort est revenue parader alentour. J’ai exhumé ces amies d’un monologue singulier et leur ai infligé quelques tortures formelles : même cadre pour toutes sans trace de dégradation de (leur) l’image. J’ai tenté de les débarrasser de la poussière du temps, peut-être sans y parvenir. Les siècles sont là, à travers les flétrissures du temps et le passage des modes (coiffures, vêtements, attitudes convenues).
Ces portraits ne sont que des images d’images, mais ils parlent d’un espace-temps précis, celui d’une rencontre improbable avec des personnes, décédées parfois de longue date, d’autres fois, la veille.
Un espace-temps de vie et de pensée : un lien.
L.T. 2008
Présences photographiques, 2008