LYDIA TABARY                                                                                                                                       TEXTES ASSOCIES A DES OEUVRES

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Peaux


Les architectes évoquent souvent l’habillage de leurs immeubles, l’au-delà de la structure, ce qui la recouvre et la dissimule, en parlant de peau, soulignant ainsi qu’une construction hébergeant des activités humaines et soumise aux variations climatiques, se comporte comme un organisme vivant qui doit se défendre contre les attaques extérieures et protéger son intérieur.

Plus je travaille pour l’espace public, et plus l’idée de peau me travaille, se révélant sous des aspects qui rejoignent mes préoccupations sur les relations entre le temps, l’espace et la mémoire, entre l’intérieur et l’extérieur, entre soi et l’autre.


J’ai toujours accordé une grande importance au toucher et à la qualité des matières minérales, végétales ou synthétiques constitutives de mon environnement ; toujours aimé aussi, sentir l’eau, l’air, les rayons sur ma peau et palper toutes celles des êtres vivants qu’elles soient emplumées, poilues, piquantes, écailleuses, ou glabres.

Mais aujourd’hui, entre ma peau intime, et celle qui recouvre toute chose ou être, je perçois une peau symbolique, immatérielle qui, n’appartenant à personne, est un espace de fusion pour ces peaux distinctes.


Le travail que j’ai intitulé « peaux », est la concrétisation de ce concept reliant. Il parle de peau en finesse, en pénétration, en reconnaissance, en symbiose, pas en obstacle ni en limite. Pour ce travail, devenue prédatrice, j’ai capté par des saisies photographiques, toutes sortes de peaux, inertes ou mobiles (minéraux, végétaux, animaux, êtres humains). Pour les rendre consommables, je les ai consumées et transfigurées en les associant, en les mêlant, jusqu’à ce que l’identité de chacune se perde, sublimée dans la mixité.


J’ai pris des peaux de rochers, d’arbres ou d’animaux, et je les ai associées systématiquement à des peaux prises sur des troncs humains de tout âge.

J’ai fait en sorte qu’elles entrent en communication, qu’elles se donnent et prennent, qu’elles se métissent.

Le travail sur les peaux (et non la peau) est mixage, infime regard sur ce qui se donne et se perd, opérations exécutées sur des peaux choisies pour s’apparenter, se reconnaître, se dépasser et s’abandonner.

Toutes réagissent individuellement : il en est qui rejettent la greffe et d’autres qui absorbent l’autre ; seules certaines sont prêtes à la rencontre.


Dans ce travail, l’ordinateur assujetti à mon projet, perdu dans mes tâtonnements, me permet, virtuellement, mais dans une chaîne opératoire bien réelle, de donner corps à ma pensée et de concrétiser une expérience sensible (fantasme dont la réalisation est improbable).

C’est là le bonheur de la création : un art de vivre, un art pour vivre, un art dans et avec la vie. La peau d’un humain mort, un de ceux qui « y a laissé sa peau », pourrait sûrement se comporter positivement dans la vie de « mes peaux ». J’ai eu cette pensée cet après-midi, lors d’un enterrement d’une très vieille que j’aimais. De quoi convoquer toutes les mémoires !


Ces travaux sont tirés sur toile avec une intervention postérieure (verni mat). J’envisage des tirages sur soie pour la finesse et la magnifique transparence du fil de la chenille du mûrier (ver du bombyx).


Janvier 2008 - Lydia Tabary

Oeuvres numériques Peaux  2007 - 2008Oeuv_num_pict_abstraites_2007_-_2008.html

Peaux, 2008