LYDIA TABARY                                                                                                                                       TEXTES ASSOCIES A DES OEUVRES

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Les mots du corps


Quand il s’agit d’être photographiée, je me souviens de ces mots de Roland Barthes :  “Je ne suis ni un sujet ni un objet, mais plutôt un sujet qui se sent devenir objet : je vis alors une micro expérience de la mort (de la parenthèse) : je deviens vraiment spectre.” (La chambre claire : note sur la photographie, Paris, Cahiers du cinéma/Gallimard/Seuil, 1980, p.30)


Ces mots, je me les remémore et les ressasse, je les mâche et les hache pour les dépasser, ne pas rester dans cette disposition d’esprit qui fait obstacle au lâcher prise.

Je sais que mon corps n’est pas moi et qu’il me faut, outre le déshabiller, le déshabiter pour qu’il puisse exister pleinement : évacuer le sujet qui le pense pour bannir la pensée de l’objet qui le contrôle et le contraint.


Mon corps est doté d’attributs objectifs, extérieurs à ma conscience, qui doivent être saisis dans leur matérialité, indépendamment de toute pensée égotiste et linéaire. Il est par nature membré, morcelé, composite et ses éléments constituants peuvent se manifester et se signifier seuls. Dans ce jeu improvisé, qu’ils s’éloignent ou se rapprochent les uns des autres, qu’ils s’excluent, s’articulent ou se combinent, ils s’inventent des relations hasardeuses ou impulsives qui, sans fondement raisonné, sont plus révélatrices des réserves et impudeurs de l’être que toute scénographie.

J’essaie donc de laisser parler mon corps et de le prendre comme il se présente : détaché, autre, il est l’autre, à observer, à écouter, à comprendre.


Lors des prises de vues, l’idée du spectre ou celle de l’apparence ne se manifestent pas. Le mental s’absente et seul le corps s’anime : la substance, la chair, la matière sont omniprésentes, contiennent tout, libèrent tout, expriment tout, décentrent et recentrent tout. Le corps est une terre mille fois modelée qui livre, dans l’alternance du mouvement et du repos, les formes et les empreintes qu’il recèle.


La prise de vues est alors comme un labour profond pendant lequel le corps se décompose et se recompose à sa manière pour donner naissance à un corpus de propositions visuelles non préméditées qui, souvent, ne manquent pas d’humour.


Mais les choix opérés parmi ces propositions sont ceux de la pensée en action, avec son carcan idéel et ses habitus. La liberté approchée se dérobe : il n’en reste que des effilochures où l’indiciel et l’imaginaire s’effleurent, se croisent, se heurtent ou se conjuguent, selon les cas.

 

L’image retenue doit faire signe plus que sens, les mots du corps surgir et l’esprit se dérider : les mots du corps qui restent sont le sourire de l’âme.


juin 2002 - Lydia Tabary

Les mots du corps - Photographies - page 2Photos_Les_mots_du_corps_2001.html

Les mots du corps, 2002