LYDIA TABARY                                                                                                                                       TEXTES ASSOCIES A DES OEUVRES

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 Le bouc emissaire - 1990 - EnsemblageENSEM_ASSEM_COLL_1990_-_99.html

Le bouc émissaire


Ce travail pose paradoxalement la double question de la visibilité du langage discursif et de la lisibilité de la structure du langage plastique.

En rupture avec les travaux antérieurs, il a cependant à voir avec les questionnements que ceux-ci ont suscités :

-d’une part, avec la nécessité de pousser à l’extrême le problème de la dualité forme/contenu, en vue de la dépasser ;

-d’autre part, avec le besoin de cerner plus précisément, en l’explorant, le champ théorique dans lequel s’inscrit la peinture.


Le recours à la photographie, jusqu’ici principalement utilisée comme moyen d’enregistrement et de mémorisation de textures, compositions architecturales et atmosphères, c’est-à-dire comme matériau de référence renvoyant à une perception singulière du réel ou à un vécu, s’est imposé en raison de la liberté qu’offre la densité référentielle de cette technique.

Il n’y a pas d’abandon de la peinture - elle demeure concrètement présente en tant que support et fond et qui habite et sous-tend la problématique posée, mais plutôt une mise en état de latence de la peinture et une prise de distance avec sa réalité ou même sa « vérité ».

L’utilisation de la photographie correspond ici à une volonté de mettre à plat des éléments picturaux pour polariser le travail sur la structure du langage plastique, celle-ci étant appréhendée comme une organisation dynamique dont les éléments interdépendants - par les rapports de forme et de fonction qu’ils entretiennent entre eux, comme par leur mode d’articulation et leurs conditions d’apparition et de transformation - déterminent la morphologie et l’efficience productive et transformationnelle.

Le choix de la photographie se justifie par le paradoxe qu’elle s’objective en un matériau plat, lisse, désincarné, mais synthétique, chargé, « habité » d’espace, de temps, de mémoire et d’histoire (le réel référent) ; autant de caractères qui font défaut à la peinture, et que, malgré lui, celui qui fait ou regarde, tend à vouloir retrouver (exprimer ou percevoir), niant en cela la spécificité du champ signifiant de la peinture.


Dans le cas présent, mon hypothèse de travail est que la photographie, en vertu de ses qualités intrinsèques, et notamment de celle, exceptionnelle, que lui confère le réel référent, s’inscrit à part entière dans l’espace de la recherche plastique et peut éclairer toute réflexion théorique ou pragmatique sur la structure de ce langage et sur les rapports que celle-ci entretient avec d’autres structures (celle du langage linéaire (oral ou écrit) mais également les structures sociales, politiques, économiques...

C’est dans ce sens que j’ai travaillé le « bouc émissaire ».


Le retour en force de la recherche du sens lié au contexte (texte) social s’accompagne donc du recours à une technique plus proche du champ discursif et de l’intégration directe du langage linéaire dans la composition du travail, ces deux éléments jouant comme « révélateurs » de la structure et du processus plastique.


Pour cette œuvre critique portant sur le monde réel, sur l’exclusion (thème dont la rémanence renvoie à mes activités professionnelles externes au domaine plastique), j’ai cherché à ce que les références, codes et niveaux de sens s’entrecroisent et se perturbent jusqu’à saturation, sauf à jouer les repères. Que le sens ne puisse se livrer que dans les passages, interstices, écarts, failles, manques, jonctions superpositions, heurts sur lesquels butte et s’arrête le regard et par lesquels circule et se construit la pensée.

Qu’il se donne à lire en se donnant à voir et inversement.


Solliciter la participation du regardeur ? Sans doute est-ce là aussi le nouvel enjeu de ce travail. Mais que celle-ci ne soit pas un exercice mental imposé, au sens d’un cheminement nécessaire. Qu’elle demeure une aventure personnelle, un jeu singulier, faisant appel à l’imaginaire de chacun et n’ayant aucune fin (aboutissement et finalité).

Ce « bouc émissaire », que je considère insatisfaisant sur le plan plastique parce que trop didactique, n’en constitue pas moins dans l’évolution de mon travail une œuvre charnière qui, par l’affirmation de partis pris récurrents et par l’emploi de nouveaux procédés, m’a libérée de certains préjugés et permis de passer à une pratique moins empirique, de rationaliser davantage mes recherches.


1990 - Lydia Tabary

Le bouc émissaire, 1990