LYDIA TABARY                                                                                                                                       TEXTES ASSOCIES A DES OEUVRES

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Oeuvres numériques Eurythmies 2008Oeuv_num_pict_abstraites_2007_-_2008.html

Eurythmies (1)


Je disais, à propos des “peaux” : plus je travaille pour l’espace public, et plus l’idée de peau me travaille, se révélant sous des aspects qui rejoignent mes préoccupations sur les relations entre le temps, l’espace et la mémoire, entre l’intérieur et l’extérieur, entre soi et l’autre.


La série des “Eurythmies” découle de celle des peaux, celles-ci constituant le fond (au sens pictural du terme) de celles-là. Je continue ainsi à décliner en couches d’espaces et de mémoire, tout ce qui fait sens pour moi, au détour des multiples chemins que trace la lumière sur les contours végétaux.


La relation au végétal n’est plus celle d’une peau en finesse, en pénétration, en symbiose, mais un dessein. Celui-ci se traduit par le dessin de multiples lignes qui s’arrêtent, se croisent, se superposent, se touchent ou semblent s’écarter, tantôt violemment, parfois en douceur, exactement comme le font nos pensées qui se rencontrent ou s’excluent, nos amitiés qui se nouent et se délivrent, nos corps qui se rejoignent parfois pour mieux se séparer avant leur propre disparition.


Il y a dans cette saisie de la portion de bois ou de feuillage qui retient ou rejette la lumière, un regard anxieux sur ce qui se donne et se perd, sur ce que l’on est capable de voir, de sentir, de retenir ou de fuir parce que ce n’est pas le moment : trop dur, trop triste, insupportable. Un regard curieux sur ce qui s’esquisse dans l’espace naturel et fait écho à nos perceptions et souvenirs de tout ordre.


Si les greffes sont encore présentes ici, elles ne mènent plus la danse visuelle : elles créent un espace en mouvement où s’inscrit un rythme émanant d’ailleurs. Une image de notre société, avec ses racines dessous et ses troubles dessus. Ou son inversion. Ce qui revient au même, selon le temps, l’époque devrai-je dire : les racines ont été troubles et les troubles sont devenus racines.


Les eurythmies ont ceci de remarquable : si, comme les “peaux”, elles nous plongent dans un univers pictural sans peinture aucune et pour le coup, sans plus de pinceau, elles ne font pas l’économie de l’ambiance et du climat, elles trans-portent le regard singulier sur le présent, que les peaux avaient évacué.


J’ai commencé mon aventure numérique avec les pinceaux : largeur, épaisseur, régularité ou irrégularité, force du tracé, amincissement de la ligne, touche légère ou pesante, bref, j’ai éprouvé “synthétiquement” tout ce que manipule le peintre avec ses outils. Mais je les ai contraints à l’a-plat, dans le respect d’un résultat lisse et sans faille : une redondance souhaitée.


Je la poursuis sans repère, dans l’abstraction de la gestuelle, la rédemption de la démarche et la renaissance du concept sans rien perdre de la contrainte de la matière perçue et rendue par les capteurs numériques. Car cette contrainte existe bel et bien. Aucune possibilité de faire confiance à un quelconque filtre pour produire une image vivante et communicante. Le travail de recherche se prolonge et se complexifie, pour laisser émerger un univers différent de ce que l’on a pu faire ou voir antérieurement.

Il n’y a plus de matière dans l’œuvre, autre que l’encre et le support de celle-ci. Pourtant, la richesse du travail (sa conception, sa complexité) est rendue de manière étonnante par la finesse de l’impression : le travail intègre et restitue les temps et espaces de sa construction.


Ce corps donné à ma pensée concrétise une expérience sensible dans laquelle la recherche d’un équilibre se livre. Cette problématique artistique personnelle pourrait aussi servir de support à un nouvel axe de travail pour une rencontre entre art, science et technologie.


(1) Note : Eurythmies ....d’ eurythmia “Harmonie dans un ensemble” , mouvement bien rythmé et délicatesse de main. Eu - bien  et  rhuthmos - rythme. Le Robert, dictionnaire historique de la langue française, précise : “ D’abord employé comme terme d’architecture, le mot se dit de l’heureuse harmonie dans la composition et les proportions d’une œuvre plastique.”



Avril 2008 - Lydia Tabary

Eurythmies, 2008