LYDIA TABARY                                                                                                                                   TEXTES  REFLEXIONS TRANSVERSALES

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DÉMARCHE


Démarche


La pensée créatrice qui m'anime se présente comme un ensemble ramifié aux connexions multiples, sorte de construction sans frontière, traversant par accumulations, l’espace et l’épaisseur du temps.

Echo du fonctionnement du corps humain comme du corps social, elle privilégie la saisie des relations entre les éléments plus que leurs dimensions particulières et met en scène des situations de mouvement (juxtaposition, réunion, exclusion, association, séparation, convergence, tension, divergence, superposition, fusion, destruction) où se manifestent des circulations d'énergies et d'informations.

C'est par un va et vient constant entre le conceptuel et le matériel - qui se nourrissent mutuellement sur des registres tantôt rationnels (observation et analyse de la réalité, action) et tantôt sensibles (manifestation de désirs et fantasmes, contemplation) - que s'élabore cette mise en relation des êtres et des choses, de l’intérieur et de l’extérieur.


Selon les contextes et les thèmes abordés,  j'utilise des techniques, matières et supports variés et mon travail se construit de façon éclectique par le dessin, la peinture, la photographie, le collage, l’image numérique, le volume, le vitrail ou les installations. Chaque œuvre résulte d'une approche et d'un mode de concrétisation particuliers sollicitant de ma part, outre la « cosa mentale », une implication physique plus ou moins importante : pour les projets en deux ou trois dimensions destinés à l’espace public, mon investissement est surtout conceptuel, le respect des contraintes environnementales exigeant souvent l’emploi de matériaux dont le façonnage et l'installation requièrent des compétences techniques complémentaires.


Cette transgression des frontières techniques va de paire avec l’idée que l'intérêt d'une œuvre réside avant tout dans sa capacité à mettre en rapport divers éléments de façon à rendre manifeste ce qui resterait invisible sans son intermédiaire, ou pour le moins à suggérer la virtualité de perceptions décalées des éléments en présence.


La recherche d’une adaptation de ma pensée à des situations diverses constitue le fil conducteur d’un travail en constante mutation donnant à discerner, au fil de l’accumulation des expériences de création : des glissements, des mélanges, des retours ou des bonds qui définissent ma tendance. En ce sens, la cohérence de ma démarche artistique réside, non pas dans l'affirmation d'un style formellement identifiable, mais dans le cheminement dialectique d’une pensée plastique en perpétuelle construction.

C'est dans l'instabilité occasionnée par la confrontation à des environnements multiples que se développe et se renouvelle un travail dont je considère qu'il doit, tout en répondant à mes propres impératifs mentaux, rester en prise, sinon en phase, avec le monde actuel et ses transformations.


Outre leur diversité factuelle, mes travaux, souvent composites (plusieurs pièces jouant en complémentarité ou en opposition), font appel à une perception globale qui, pour mettre en jeu nos représentations, déborde le visuel : ils comportent toujours une partie visible, donnée à voir, et une autre partie, plus flottante, donnée à penser.

Cette dualité, qui n'est pas sans rapport avec mon histoire (ethnologue devenue plasticienne) et ma perception du monde actuel, révèle aussi la manière dont je tente de m'impliquer artistiquement et donc socialement :


« La société actuelle - hyper moderne (1) - m’apparaît comme une entité composite complexe, où des processus de socialisation et d’individuation modifient notre conception de l’individu et notre rapport à la communauté humaine. Ces changements sont d’autant plus intenses que l’évolution accélérée des techniques transforme notre relation au temps et à l’espace. L’expansion urbaine et l’explosion des moyens de communication refondent nos repères spatiaux et temporels. Notre univers social n’est plus de proximité, mais tissé en réseaux autonomes qui se superposent, souvent sans connexion entre eux. La notion de groupe social se perd, diluée dans l’éphémère et le diffus, et nos sens, en décalage avec les connaissances scientifiques et leurs applications, sont constamment pris en défaut : nombre de phénomènes se produisent avec trop de rapidité, de lenteur, ou de mouvements successifs pour que nous puissions les observer, et les accumulations d’objets ou d’informations défient notre mémoire.

Dans cet apparent désordre, où les mutations se conjuguent pour saper nos catégories référentielles, la dite « mémoire collective » traverse aussi de rudes épreuves : elle ne se construit plus de façon convergente sur le fil d’un temps partagé, mais par amalgame d’effiloches de souvenirs ponctuellement mises en commun ou se faisant écho. Nos racines ont des ailes, et nos projections s’individualisent au détriment de la construction d’une pensée universelle de la communauté humaine. L.T. – 2007 »


Pour humaniser (je ne crois pas à la sublimation) la réalité de ce monde en mouvement, j'explore, au sein de territoires variés, les notions d’espace, de temps et de mémoire, dans leurs manifestations les plus simples. M’appuyant sur des éléments empruntés à la nature ou à la culture (histoire, sciences, littérature), je transpose et combine des indices plus ou moins symboliques dont la mise en relation peut interroger nos sens et notre pensée.


Presque toujours à la frontière de la figuration et de l’abstraction qui, à mon sens, se contiennent mutuellement, basculant parfois pour de courtes périodes vers l’une ou l’autre, j’use le plus souvent de leur hybridation en tirant partie de l’ambigüité de ces formes lorsqu’elles s’éclatent ou se répandent dans l’espace.


Mais qu’il s’agisse du travail d’atelier, où je transfigure des éléments concrets pour tenter de saisir une émotion intime, une pensée irrationnelle, ou de la création pour l’espace public, où mon intervention, plus conceptuelle que physique, me place au sens propre dans la relation au monde et à l’environnement, il ne s’agit pas pour moi de représenter quelque chose : mon unique souhait est de contribuer modestement à faire exister des forces susceptibles de favoriser la compréhension du monde actuel, de stimuler la réflexion, les échanges, et d’élargir le champ des énergies en présence.


Mars 2008





  1. (1)Selon la définition qu’en donne François Ascher, sociologue et urbaniste, dans ses ouvrages “Examen clinique. Journal d’un hypermoderne, 2007” et “la société hypermoderne, 2001”  ed. de l’aube. Pour voir la bibliographie de François Ascher, cliquer sur le lien suivant :

      LTMU - UMR 7136 - Ascher François