LYDIA TABARY                                                                                                                                             TEXTES LIES A UNE TECHNIQUE

Vers une conception profane du vitrail


Repousser les contraintes en matière de composition et de représentation.

Dans le vitrail, comme dans mes « peintures numériques », le morcellement de la composition (ici renforcé par le contraste entre les cernes lourds du plomb et la légèreté des verres colorés) oblige d’emblée le regard à circuler, à déconstruire et reconstruire la représentation. L’existence de ce point commun avec la structure de mes travaux, en stimulant mon intérêt pour le vitrail, m’a permis de découvrir que ce dernier ouvrait sur un autre univers plastique, plus contraint et rigide que celui de la peinture, mais plus vibrant, plus animé, en corps à corps avec l’espace et la lumière.

Cette observation m’a conduite à m’investir dans la création d’esquisses et de dessins susceptibles d’être réalisés en vitrail. Dans ce domaine, c’est surtout la manière dont les contraintes techniques de la fabrication pèsent sur la composition et la représentation qui m’intéresse. Mes projets de vitraux répondent donc, d’un côté, à des préoccupations formelles (jouer avec les contraintes techniques, les utiliser ou en repousser les limites) et d’un autre, au souhait de faire éclater le carcan des représentations admises, de parvenir à « désacraliser» le vitrail.

Il est nécessaire, pour créer un vitrail, de tenir compte de l’exposition et de la configuration l’espace architectural où il devra prendre place. Les vitraux sont donc réalisés, sauf rare exception, sur commande, mais mon travail se limite à la création d’images conçues pour le verre et la lumière. Je crée des esquisses et les transforme en des compositions adaptées aux matériaux utilisés. J’assure la réalisation des cartons avec la représentation des lignes de plomb et le choix des verres colorés. Cette dernière étape du travail de création (le choix des verres) est aussi délicate qu’importante. Le dessin, pourtant opaque, doit être mentalement mis à l’épreuve de la lumière et des transparences pour que les couleurs soient réinterprétées en fonction des verres et qu’un réajustement de leurs valeurs mutuelles soit opéré.


Utiliser et valoriser la dimension  sculpturale  du  vitrail

Contrairement au tableau qui offre une surface riche mais opaque sur laquelle le regard s’arrête, contraint de voyager à l’intérieur d’un plan circonscrit, le vitrail joue comme un filtre. S’il capte le regard, il ne l’enferme pas dans la vision de ce qu’il est, mais l’emmène dans l’espace, au-delà de ce qu’il représente. Sa nature « transparente » en fait l’instrument d’une relation permanente entre l’extérieur et l’intérieur : il en est la frontière lumineuse, le lieu de fusion et de confusion. Donnant à percevoir le réel sous la forme d’un éclatement multicolore, découpant à sa manière les ombres et les lumières, il scinde l’espace tout en donnant corps à la magie visionnaire, en invitant à la traversée.

De surcroît, selon les lieux où il prend place, il peut délivrer ses deux faces. L’inversion de la vision n’est plus une affaire de négatif : les côtés pile et face en sont positivement visibles. Faisant état et œuvre de transparence, il montre ses dessous, son derrière. En même temps que lui, le lieu où il s’insère est perçu comme une porte, un passage, une aire de communication entre le dedans et le dehors, l’en deçà  et l’au-delà. Le vitrail relie et appelle à relire le monde de façon sculpturale, à le percevoir de façon toujours renouvelée, dans l’espace et dans le temps.

Valéry disait : « La sculpture s’installe dans le même milieu que celui qui la contemple. Chaque pas de l’observateur, chaque heure du jour, chaque lampe qui s’allume, engendre à une sculpture une certaine apparence, toute différente des autres ». Le vitrail réagit et agit de même sous l’effet des variations de la lumière : s’il recouvre de multiples apparences, il transforme aussi notre perception de l’environnement sur lequel il projette ses couleurs et où il renvoie en la modulant toute lumière, quelle qu’en soit la source. Le vitrail, comme la sculpture, reçoit et pénètre, illumine et bouleverse, instaure un dialogue avec son environnement.

La plupart des vitraux, dans les lieux publics notamment, sont placés en hauteur, avec le ciel comme fond. S’ils créent une atmosphère particulière en filtrant la lumière, ils se donnent à voir de loin, comme des tableaux. La dimension sculpturale du vitrail, sa capacité à jouer avec la lumière et avec des fonds mobiles ou immobiles, de deux côtés, est presque toujours négligée. J’essaie donc dans mes projets, d’intégrer cette dimension. 


Désacraliser le vitrail

Depuis ses origines, le vitrail sert le sacré. L’absence de lumière artificielle et la traversée, longtemps inexplicable, du verre, un solide, par la lumière naturelle, ont certainement renforcé son aura mystérieuse lui conférant une dimension presque surnaturelle. Il était censé diriger la pensée, par des moyens matériels, vers ce qui est immatériel. Aujourd’hui encore, la grande majorité des vitraux créés, qu’ils soient de nature allégorique (figuration narrative ou non) ou abstraite, sont destinés aux édifices religieux. Le vitrail a donc beaucoup de mal à franchir les barrières sociales, économiques et culturelles associées à son histoire.


Pourtant, indépendamment de toute croyance, nous sommes instinctivement sensibles aux couleurs, aux variations de la lumière comme aux représentations qui transcendent notre réalité et celle de notre environnement. Le vitrail peut donc répondre, de façon tout à fait profane, à notre besoin d’imaginaire, de poésie et d’émotions esthétiques. De nombreux bâtiments publics et privés pourraient trouver un autre souffle, une autre respiration, une dimension simplement plus poétique, s’ils intégraient des vitraux, que ceux-ci soient figuratifs ou abstraits. De même, nombre d’habitations dotées de verrières, vérandas, portes et fenêtres, paravents ou autres cloisons fixes ou mobiles, gagneraient à présenter ici ou là, des vitraux adaptés à l’espace et au jeu des lumières naturelle et artificielle.


Le vitrail de conception artistique et de fabrication artisanale n’est pas d’un coût plus élevé que celui de nombre de créations plastiques utilisant des matériaux récents souvent sophistiqués. En outre, l’argument de la fragilité du vitrail ne résiste pas à l’examen des possibilités techniques : il existe aujourd’hui de nouveaux procédés de réalisation de vitraux (feuilletage résine, inclusions, ...) ainsi que des systèmes de protection efficaces, permettant d’envisager la présence de vitraux, même de facture traditionnelle, dans des lieux de passage très fréquentés (lycées, collèges, écoles, mairies, édifices culturels…).

Faire sortir le vitrail des églises et autres cathédrales, l’intégrer dans les architectures anciennes ou contemporaines lors de la programmation d’opérations de réhabilitation ou de création de bâtiments publics ou privés, telles sont les préoccupations sous-jacentes à mes projets.

Dans cette perspective, je m’intéresse à des compositions susceptibles de s’intégrer à l’environnement naturel et construit. Il s’agit d’utiliser les dimensions sculpturale et décorative du vitrail dans des lieux où sa présence peut être, non seulement poétique, mais signifiante.


Le vitrail, miroir d’une heure, révélateur du temps

Le principe retenu pour la conception de certains vitraux, est presque celui du double : la représentation  choisie fait écho à l’un des espaces qu’il délimite, l’intérieur ou l’extérieur, selon sa place et l’origine de la lumière au sein de l’architecture où il doit prendre place. Les couleurs sont déterminées en fonction de l’ambiance particulière d’une heure de la journée où le vitrail devient en quelque sorte le double décalé de l’un des deux aspects qu’offre la réalité visible à travers lui.


Ce mode d’approche m’intéresse pour diverses raisons :

-Il exige de prendre en compte l’architecture extérieure et intérieure des lieux, comme les sources de lumière, naturelle et artificielle.

-Il oriente la représentation vers une figuration presque redondante et par conséquent peu symbolique, de l’espace environnant. Le vitrail est ainsi débarrassé de l’iconographie religieuse ou allégorique qui lui colle à la peau.

-L’inscription dans le vitrail, d’une partie de son environnement concret, saisi en un temps donné, met l’accent sur la dimension temporelle de la représentation et introduit une perception flottante des lieux.

-Enfin, les couleurs ayant été choisies en fonction de leur harmonie avec les espaces de proximité, les jeux d’ombres et de lumières révèlent de façon plus claire et plus incisive, les modifications constantes de l’environnement.


Il s’agit donc là d’une piste de travail que je souhaite encore explorer, sans qu’elle soit pour autant exclusive d’autres formes d’approche du vitrail prenant davantage en compte ses fonctions décoratives, comme je le fais volontiers pour répondre à des commandes privées.


Enfin, mon expérience du verre n’en étant qu’à ses premiers balbutiements, je pense m’intéresser d’ici peu à d’autres formes de décors verriers et notamment à la sérigraphie et aux techniques de dépoli (au jet de sable ou à l’acide) qui offrent d’autres possibilités de représentations et de jeu avec la lumière.


2004 - Lydia  Tabary

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Vitraux et tableaux verre - 2002-2009VITRAUX_TABL_VERRE_2002_-_2009.html

Vers une conception profane du vitrail, 2004